Le vide infini

Comment combler le vide infini ?
Oh, mais comment combler le vide ?

Vite, un train à prendre un métro à ne pas rater.
Vite, vite, aller voir le dernier événement jubilatoire de l'année.
Vite, de l'action, de la sueur, des pleurs et du beaux sentiments,
du bel affect pondu par des journalistes, des sportifs ou des acteurs
la Belle vie, la Grande, l'autre pas la nôtre, sans se mouiller, sans sourciller, sans se brûler.
Vite, la gloire et la misère en feuilleton à l'autre bout de l'Silleton sans bouger
oui, sans bouger, caresser du cil tous les lointains ailleurs.
Vite, toujours filtrer, juste pour flirter du dedans.
Vite, avoir sa seconde de célébrité, sa minute de liberté, son heure de vérité.
Vite, encore un train à prendre, encore courir, encore une activité jusqu'à s'en décrocher le
coeur.
Vite, vite se remplir. Un vide, vite, à combler.
Vite, vite, la becquée, aspirer, inspirer, engloutir, avaler, ne jamais expirer.
Vite, une gorgée, un goût, un bout, une bouche, une bouffe, une bouffée.
Vite, vite, une drogue, un snif, un shoot, une montée
Vite, ne plus souffrir, du plaisir, du plaisir, encore, encore.
Vite, tronquer la vie pour tromper la mort
et danser sans tête comme des robots aux corps mous.
Vite, du bien être, même si je fais semblant d'être, m'en fous !

Comment combler le vide infini ?
Oh, mais comment combler le vide ?

Vite, disparaître sous l'armoire, mettre ma honte à l'ombre, ma peur au placard,
mon âme à l'abri, des bruits, des débris, et des compromis, ma haine et ma gène au tiroir.
Vite, tenir tous mes instincts au secret, polis, civilisés, sous un voile, un tchador de fer fin et
ouvragé
une ceinture de chasteté, bien alourdie par le poids des chaînes, bien cadenassée.
Et si des fois ça remue encore et si des fois ça remue la nuit ou jusqu'à tard le soir :
Vite, enterrer encore plus profond, dans des recoins encore plus obscurs,
cacher le malaise sous la glaise, la glaire et la terre, ensevelir invisible sous la vase
et puis vite, ressortir, oublier, puis combler le trou, puis boucher le puits, vite, oublier.

Vite, maîtriser. Museler les louves. Creuser les douves, planter la herse, endiguer, retenir,
contrôler
bâtir des murs, construire des places fortes, ériger des tours de gardes, un cadre,
un périmètre d'enfants glabres. Vite, la tolérance et l'ouverture seront mes barricades.
Vite, un calque, un casque, un masque, un mascara, une carapace, une armure
pour briller sans partage, briller sans mélange, ne pas ternir mon image, être en phase.
Vite, donner le change avec mon air d'ange, de tout l'attirail du pur, appareillé.
Vite, jeter le trouble avec mon air de sainte - ni touche - ni pute sur la touche
déjà bien au-delà des vertus du vice bien vissé au creux du ventre et de l'écume à la bouche
replet, un reflet à peine refait, parfait, fiable, zen, sans angle, sans diable, inséré.

.../...
Comment combler le vide infini ?
Oh, mais comment combler le vide ?
Avec des bouts de vide, avec des bouts de rien ?
Avec des bouts de vide, avec des bouts de rien ?

Vite, monter en puissance sans le poids des ans, sans le poids de l'âge, sans le poids du temps. Avoir de l'esprit, se trouver, se connaître, s'accomplir. Savoir se dire c'est savoir se vendre
et se vendre aujourd'hui, c'est l'avenir, le passé, le présent, la valeur et la survie.
Vite, baisser la tête sans se salir les mains, baisser son froc sans jamais se faire baiser
sans capote ni vaseline, sans beurre ni argent du beurre et crémière à la clé.
Courber l'échine, oui, mais ne jamais se solder, soldat ! S'arracher, se couper, se vendre
bout à bout : ses tripes, ses larmes, ses plumes, sa flamme, les yeux de sa tête, la peau de son
cul
pour des ailes de cuire, des ailes de cire et de suie, des ailes de plomb, de béton et d'acier
trempé.
Tant pis je suis prêt à tout, j'ai déjà baigné dans l'abîme et j'en peux plus.
Vite, que jamais plus rien ne déborde, jamais plus rien ne me dépasse, jamais plus de
malgré moi.
Vite de la lumière, faire partie des hauts, titiller le clito des nues, là où c'est beau, et grand
et fort, tellement t'en peux plus, de ta thune, d'être toi, et du destin qui t'a mis là.

Vite, vite, monter, monter, dealer, grimper, et gravir les échelles, franchir les cercles, sauter les degrés, griller les étapes, grimper, toujours, grimper, pour ne plus redescendre jamais !
Alors, un jour, une fois
en haut tout en haut avec les bas-fond pleins les bottes, je pisserai sur les tombes et j'irais
cracher
à la face de Dieu Mon Mépris !

Ah ! Ah ! Vite, vite, encore, encore, je n'ai pas assez gonflé, encore, encore !
Et en cas de trop plein y a plus qu'à vomir et puis tout recommencer...
Vite, vite.


Comment combler le vide infini ?
Oh, mais comment combler le vide ?
Comment combler le vide infini ?
Oh, mais comment combler le vide infini ?
Avec des bouts de vide, avec des bouts de rien ?
Avec des bouts de vide, avec des bouts de rien ?

Peut-être avec de l'infiniment plein.

© FFDSP 2003